L’arrivée de catégories sociales diplômées et aisées en Seine-Saint-Denis est au centre des discours et intéresse les décideurs locaux. Cette «gentrification» ne représente pourtant qu’un épiphénomène démographique qui en masque deux autres: l’importance de l’immigration internationale et le départ des classes moyennes.
Le 93 en phase de «boboïsation»? Un mythe au regard de la démographie
Qu’en est-il donc réellement? Les statistiques confirment-elles l’existence de ce processus ou les évolutions en œuvre créent-elles une situation plus complexe? La
gentrification ne relève-t-elle pas plus d’un mythe entretenu par certains experts et médias que de la réalité? La réalisation par nos soins d’un diagnostic territorial concernant la période la
plus récente, c’est-à-dire 1999-2009, sur le territoire de la communauté d’agglomération Est Ensemble, qui comprend la commune emblématique de Montreuil, et qui est une des structures
intercommunales séquano-dionysiennes limitrophes de Paris, vient mettre un gros bémol à cette vision, qui ne reflète pas la réalité de l’évolution de ces communes.
En effet, l’étude démographique a montré l’influence majeure de l’immigration internationale d’origine extra-européenne sur le territoire de la communauté d’agglomération Est Ensemble, à l’origine de ses caractéristiques spécifiques, dont la forte natalité et l’augmentation de la taille des ménages. Selon ces indicateurs, le processus de gentrification, identifié par les acteurs locaux comme dominant, est invisible. L’étude du parc de logements est venue confirmer le constat d’une certaine paupérisation consécutive à cette immigration (moindre progression de la taille des résidences principales, persistance de logements insalubres, réduction de l’équipement en automobile), tout en faisant émerger (timidement) l’amorce d’un processus de gentrification (progression des propriétaires).
Enfin, l’étude économique tout en confirmant l’impact certain de l’immigration (comme par exemple à travers l’augmentation des sans diplômes ou la surreprésentation des ouvriers dans la population active alors que les emplois locaux sont de plus en plus des emplois occupés par des cadres non résidants), démontre néanmoins l’existence d’un phénomène de gentrification sur une partie du territoire (forte hausse des cadres et des populations diplômées), en particulier aux Lilas et dans le Bas-Montreuil.
Ce dernier phénomène demeure cependant limité géographiquement et encore plus quantitativement, la dynamique démographique des populations «bobo» étant très inférieure
à celle des populations d’origine extra-européenne, d’où les pourcentages très élevés d’enfants d’origine étrangère, 50% à Montreuil et plus de 60% à Pantin en 2005 par exemple selon les calculs
des démographes Bernard Aubry et Michèle Tribalat.
Autrement dit, il ne suffit pas d’un apport de population sociologiquement élevée pour créer une modification sensible, si dans le même temps les évolutions des populations les plus défavorisées sont plus dynamiques. Par ailleurs, la présence dans un logement ne signifie pas que les populations gentrifiées jouent pleinement un rôle de «rééquilibrage» social, notamment dans les écoles, car on observe de nets phénomènes de fuite à partir du primaire et encore plus du secondaire. (…)
Slate.fr, relayé par le site .F.Desouche